Sur les vaines occupations des gens du siècle
Jean Racine
Quel charme vainqueur du monde
Vers Dieu m’élève aujourd’hui ?
Malheureux l’homme, qui fonde
Sur les hommes son appui.
Leur gloire fuit, et s’efface
En moins de temps que la trace
Du vaisseau qui fend les mers,
Ou de la flèche rapide,
Qui loin de l’oeil qui la guide
Cherche l’oiseau dans les airs.
De la Sagesse immortelle
La voix tonne, et nous instruit,
Enfants des hommes, dit-elle,
De vos soins quel est le fruit ?
Par quelle erreur, Ames vaines,
Du plus pur sang de vos veines
Acceptez-vous si souvent,
Non un pain qui vous repaisse,
Mais une ombre, qui vous laisse
Plus affamés que devant ?
Le pain que je vous propose
Sert aux Anges d’Aliment :
Dieu lui-même le compose
De la fleur de son froment.
C’est ce pain si délectable
Que ne sert point à sa table
Le Monde que vous suivez.
Je l’offre à qui veut me suivre.
Approchez. Voulez-vous vivre ?
Prenez, mangez, et vivez.
O Sagesse, ta parole
Fit éclore l’Univers,
Posa sur un double Pôle
La Terre au milieu des Mers.
Tu dis. Et les Cieux parurent,
Et tous les Astres coururent
Dans leur ordre se placer.
Avant les Siècles tu règnes.
Et qui suis-je que tu daignes
Jusqu’à moi te rabaisser ?
Le Verbe, image du Père,
Laissa son trône éternel.
Et d’une mortelle Mère
Voulut naître homme, et mortel.
Comme l’orgueil fut le crime
Dont il naissait la Victime,
Il dépouilla sa splendeur,
Et vint pauvre et misérable,
Apprendre à l’homme coupable
Sa véritable grandeur.
L’âme heureusement captive
Sous ton joug trouve la paix,
Et s’abreuve d’une eau vive
Qui ne s’épuise jamais.
Chacun peut boire en cette onde.
Elle invite tout le monde.
Mais nous courons follement,
Chercher des sources bourbeuses,
Ou des citernes trompeuses
D’où l’eau luit à tout moment.
Jean Racine, Cantiques spirituels
_________________
Kounak le chat....
-------------------------------------------
Se sentir rejeté : blessant même à l'âge adulte!
Imprimer
Nous avons tous vécu du rejet. Il constitue l'une des pires blessures. Au propre comme au figuré. Des chercheurs de UCLA ont découvert que le rejet déclenche dans le cerveau le même type de réponse que la douleur physique. Nous voulons tous faire partie d'un groupe et se sentir acceptés par ses membres. L'exil, ce retrait forcé de la société, fut longtemps un châtiment imposé aux criminels. Le rejet touche directement notre peur primale de l'abandon, peur que ressentent tous les nourrissons. La vie en groupe a longtemps été nécessaire à la survie. L'isolement signifiait souvent la mort.
Dans notre vie de tous les jours, nous sommes sollicités de toutes parts et nous ne pouvons accepter toutes les invitations à nous joindre à divers groupes, comités, activités. Nous faisons des choix et rejetons ce qui ne nous convient pas. Malheureusement, lorsque c'est nous qui sommes rejetés, on a très souvent tendance à le prendre « personnel ». Et qui dit rejet, dit baisse de l'estime de soi. Cependant, cette peur du rejet a du bon : elle nous sert de baromètre pour mesurer la qualité de nos interactions et nous permet d'apporter des ajustements.
Le rejet, mal du XXIe siècle?
On attribue une bonne part des dépressions à ce sentiment d'isolement, au fait qu'on se sente à part ou exclus. Il y a 200 ans, on naissait, vivait et mourrait dans le même village, dans la même famille. On faisait partie à vie de ces groupes. Ce n'est plus le cas de nos jours. Les mailles du filet social sont de plus en plus espacées. Nous vivons maintenant dans une société d'une extrême complexité et sommes exposés à de nouvelles situations et de nouvelles personnes sur une base quotidienne. Ce qui fait augmenter nos « chances » de vivre le rejet.
Vrai ou faux rejet?
Comme les situations propices au rejet sont multiples, on conclut parfois à tort qu'on a été rejeté. Il est donc sain de bien évaluer la situation avant de réagir. Il y a bien sûr des cas évidents de rejet. Le bouc émissaire en est l'exemple le plus évident. Cependant, la froideur perçue chez une personne ou un groupe à notre égard peut simplement être une forme de méfiance ou prudence face à nous, le nouvel arrivant. Il peut aussi s'agir d'indifférence ou de distraction.
La peur qui paralyse
Le problème c'est que pour certaines personnes hypersensibles, il est très difficile de faire la part des choses. Pour elles, la peur de rejet est un problème énorme. Leur « baromètre social » ne fonctionne pas correctement et elles reçoivent constamment des messages d'alertes indiquant qu'elles sont rejetées. Elles en viennent à vivre dans l'anticipation du rejet. Elles ajustent sans cesse leur comportement, en font trop. Elles suscitent une certaine antipathie et ont de la difficulté à s'intégrer à un groupe. Et elles finissent par s'attirer exactement ce qu'elles craignent le plus : le rejet.
Ce dérèglement, ou cette mauvaise lecture des signaux, témoigne d'une blessure profonde, qui vient toujours de l'enfance. Avec le temps et les échecs à répétition, on finit par s'isoler afin d'éviter le rejet.
Un autre trait typique de la personne qui se sent toujours rejetée est la rumination. Elle passera et repassera des centaines de fois le film de ce qui s'est passé, décelant du rejet dans le moindre détail. Au lieu de tenter de mettre les choses au clair ou de passer à l'action, elle est paralysée par un sentiment d'impuissance et de colère.
Des blessures d'enfance
La peur du rejet se développe pendant l'enfance et ses causes sont multiples : parents critiques, négligents ou absents. Elle peut se déclencher à la suite d'un événement traumatisant, comme la séparation du nourrisson ou du bébé avec ses parents (lors de naissance prématurée ou d'une maladie chez l'enfant ou l'un des parents par exemple).
Une des causes les plus médiatisées ces dernières années est le rejet vécu par les enfants victimes d'intimidation à l'école. Souvent timides et effacés, ces enfants servent de boucs émissaires et subissent des blessures émotives graves, parfois irréversibles. Ils développeront souvent une tendance à vie à la dépression, auront toujours l'impression d'être à part, différents et rejetés. Voilà pourquoi il est impératif, en tant qu'adulte, d'intervenir immédiatement si on croit que notre enfant est victime d'intimidation ou s'il en est l'instigateur.
Reprendre le pouvoir qui nous appartient
Avoir peur du rejet c'est être passif et attendre des autres un signe, une ouverture. C'est accorder une importance démesurée à l'opinion des autres et à s'estimer en fonction du regard que les autres ont sur nous. C'est, au bout du compte, être à la merci des autres, être leur victime. On comprend donc que pour changer les choses, il faut rependre le contrôle et se redonner du pouvoir.
C'est aussi prendre ses responsabilités. Être en relation, c'est s'impliquer activement dans un échange avec l'autre. C'est parler honnêtement et écouter attentivement pour éviter les malentendus et le retour dans le cercle vicieux de l'apitoiement et du rejet. Être en relation demande un investissement de soi et du travail. Il y a peu de place pour la passivité.
Il faut aussi apprendre à exister sans le regard de l'autre. Et cela passe par une bonne connaissance de soi. On doit apprendre à reconnaître nos forces et nos faiblesses, à s'accepter tel qu'on est. Peur du rejet et estime de soi sont intimement liées. Vaincre la peur du rejet est donc un processus long et profond.
Dans le couple
Inutile de dire que la peur du rejet peut être un frein immense au développement de relations amoureuses. Et lorsqu'une relation s'établit, la dynamique peut être déstabilisante pour la personne qui possède une estime de soi saine. Le moindre retard, le moindre commentaire est interprété comme du rejet. Le partenaire qui se sent rejeté a constamment besoin d'être rassuré sur les sentiments de l'autre. Ce n'est pas de tout repos. Et l'attitude à suivre n'est pas simple. Il faut à la fois rassurer notre partenaire sur sa capacité à se faire aimer par nous et les autres sans toutefois tomber dans la complaisance. En faire trop dans le but de calmer le doute renforce le comportement de notre partenaire et le place dans une situation de dépendance par rapport à nous.
Pour poursuivre sa réflexion :
Ces gens qui se sentent toujours visés : apprendre à dépersonnaliser les situations, par Elayne Savage. Éditions de l'Homme.
Survivre à la peine d'amour : de l'abandon à la guérison, par Susan Anderson. Éditions de l'Homme.
Parce que quand on se compare, on se console, on visionne l'oeuvre de Woody Allen. Le cinéaste y crée un personnage angoissé, peu sûr de lui qui en fait parfois trop pour plaire.
Henri Michaud, rédacteur Canal Vie
Jean Racine
Quel charme vainqueur du monde
Vers Dieu m’élève aujourd’hui ?
Malheureux l’homme, qui fonde
Sur les hommes son appui.
Leur gloire fuit, et s’efface
En moins de temps que la trace
Du vaisseau qui fend les mers,
Ou de la flèche rapide,
Qui loin de l’oeil qui la guide
Cherche l’oiseau dans les airs.
De la Sagesse immortelle
La voix tonne, et nous instruit,
Enfants des hommes, dit-elle,
De vos soins quel est le fruit ?
Par quelle erreur, Ames vaines,
Du plus pur sang de vos veines
Acceptez-vous si souvent,
Non un pain qui vous repaisse,
Mais une ombre, qui vous laisse
Plus affamés que devant ?
Le pain que je vous propose
Sert aux Anges d’Aliment :
Dieu lui-même le compose
De la fleur de son froment.
C’est ce pain si délectable
Que ne sert point à sa table
Le Monde que vous suivez.
Je l’offre à qui veut me suivre.
Approchez. Voulez-vous vivre ?
Prenez, mangez, et vivez.
O Sagesse, ta parole
Fit éclore l’Univers,
Posa sur un double Pôle
La Terre au milieu des Mers.
Tu dis. Et les Cieux parurent,
Et tous les Astres coururent
Dans leur ordre se placer.
Avant les Siècles tu règnes.
Et qui suis-je que tu daignes
Jusqu’à moi te rabaisser ?
Le Verbe, image du Père,
Laissa son trône éternel.
Et d’une mortelle Mère
Voulut naître homme, et mortel.
Comme l’orgueil fut le crime
Dont il naissait la Victime,
Il dépouilla sa splendeur,
Et vint pauvre et misérable,
Apprendre à l’homme coupable
Sa véritable grandeur.
L’âme heureusement captive
Sous ton joug trouve la paix,
Et s’abreuve d’une eau vive
Qui ne s’épuise jamais.
Chacun peut boire en cette onde.
Elle invite tout le monde.
Mais nous courons follement,
Chercher des sources bourbeuses,
Ou des citernes trompeuses
D’où l’eau luit à tout moment.
Jean Racine, Cantiques spirituels
_________________
Kounak le chat....
-------------------------------------------
Se sentir rejeté : blessant même à l'âge adulte!
Imprimer
Nous avons tous vécu du rejet. Il constitue l'une des pires blessures. Au propre comme au figuré. Des chercheurs de UCLA ont découvert que le rejet déclenche dans le cerveau le même type de réponse que la douleur physique. Nous voulons tous faire partie d'un groupe et se sentir acceptés par ses membres. L'exil, ce retrait forcé de la société, fut longtemps un châtiment imposé aux criminels. Le rejet touche directement notre peur primale de l'abandon, peur que ressentent tous les nourrissons. La vie en groupe a longtemps été nécessaire à la survie. L'isolement signifiait souvent la mort.
Dans notre vie de tous les jours, nous sommes sollicités de toutes parts et nous ne pouvons accepter toutes les invitations à nous joindre à divers groupes, comités, activités. Nous faisons des choix et rejetons ce qui ne nous convient pas. Malheureusement, lorsque c'est nous qui sommes rejetés, on a très souvent tendance à le prendre « personnel ». Et qui dit rejet, dit baisse de l'estime de soi. Cependant, cette peur du rejet a du bon : elle nous sert de baromètre pour mesurer la qualité de nos interactions et nous permet d'apporter des ajustements.
Le rejet, mal du XXIe siècle?
On attribue une bonne part des dépressions à ce sentiment d'isolement, au fait qu'on se sente à part ou exclus. Il y a 200 ans, on naissait, vivait et mourrait dans le même village, dans la même famille. On faisait partie à vie de ces groupes. Ce n'est plus le cas de nos jours. Les mailles du filet social sont de plus en plus espacées. Nous vivons maintenant dans une société d'une extrême complexité et sommes exposés à de nouvelles situations et de nouvelles personnes sur une base quotidienne. Ce qui fait augmenter nos « chances » de vivre le rejet.
Vrai ou faux rejet?
Comme les situations propices au rejet sont multiples, on conclut parfois à tort qu'on a été rejeté. Il est donc sain de bien évaluer la situation avant de réagir. Il y a bien sûr des cas évidents de rejet. Le bouc émissaire en est l'exemple le plus évident. Cependant, la froideur perçue chez une personne ou un groupe à notre égard peut simplement être une forme de méfiance ou prudence face à nous, le nouvel arrivant. Il peut aussi s'agir d'indifférence ou de distraction.
La peur qui paralyse
Le problème c'est que pour certaines personnes hypersensibles, il est très difficile de faire la part des choses. Pour elles, la peur de rejet est un problème énorme. Leur « baromètre social » ne fonctionne pas correctement et elles reçoivent constamment des messages d'alertes indiquant qu'elles sont rejetées. Elles en viennent à vivre dans l'anticipation du rejet. Elles ajustent sans cesse leur comportement, en font trop. Elles suscitent une certaine antipathie et ont de la difficulté à s'intégrer à un groupe. Et elles finissent par s'attirer exactement ce qu'elles craignent le plus : le rejet.
Ce dérèglement, ou cette mauvaise lecture des signaux, témoigne d'une blessure profonde, qui vient toujours de l'enfance. Avec le temps et les échecs à répétition, on finit par s'isoler afin d'éviter le rejet.
Un autre trait typique de la personne qui se sent toujours rejetée est la rumination. Elle passera et repassera des centaines de fois le film de ce qui s'est passé, décelant du rejet dans le moindre détail. Au lieu de tenter de mettre les choses au clair ou de passer à l'action, elle est paralysée par un sentiment d'impuissance et de colère.
Des blessures d'enfance
La peur du rejet se développe pendant l'enfance et ses causes sont multiples : parents critiques, négligents ou absents. Elle peut se déclencher à la suite d'un événement traumatisant, comme la séparation du nourrisson ou du bébé avec ses parents (lors de naissance prématurée ou d'une maladie chez l'enfant ou l'un des parents par exemple).
Une des causes les plus médiatisées ces dernières années est le rejet vécu par les enfants victimes d'intimidation à l'école. Souvent timides et effacés, ces enfants servent de boucs émissaires et subissent des blessures émotives graves, parfois irréversibles. Ils développeront souvent une tendance à vie à la dépression, auront toujours l'impression d'être à part, différents et rejetés. Voilà pourquoi il est impératif, en tant qu'adulte, d'intervenir immédiatement si on croit que notre enfant est victime d'intimidation ou s'il en est l'instigateur.
Reprendre le pouvoir qui nous appartient
Avoir peur du rejet c'est être passif et attendre des autres un signe, une ouverture. C'est accorder une importance démesurée à l'opinion des autres et à s'estimer en fonction du regard que les autres ont sur nous. C'est, au bout du compte, être à la merci des autres, être leur victime. On comprend donc que pour changer les choses, il faut rependre le contrôle et se redonner du pouvoir.
C'est aussi prendre ses responsabilités. Être en relation, c'est s'impliquer activement dans un échange avec l'autre. C'est parler honnêtement et écouter attentivement pour éviter les malentendus et le retour dans le cercle vicieux de l'apitoiement et du rejet. Être en relation demande un investissement de soi et du travail. Il y a peu de place pour la passivité.
Il faut aussi apprendre à exister sans le regard de l'autre. Et cela passe par une bonne connaissance de soi. On doit apprendre à reconnaître nos forces et nos faiblesses, à s'accepter tel qu'on est. Peur du rejet et estime de soi sont intimement liées. Vaincre la peur du rejet est donc un processus long et profond.
Dans le couple
Inutile de dire que la peur du rejet peut être un frein immense au développement de relations amoureuses. Et lorsqu'une relation s'établit, la dynamique peut être déstabilisante pour la personne qui possède une estime de soi saine. Le moindre retard, le moindre commentaire est interprété comme du rejet. Le partenaire qui se sent rejeté a constamment besoin d'être rassuré sur les sentiments de l'autre. Ce n'est pas de tout repos. Et l'attitude à suivre n'est pas simple. Il faut à la fois rassurer notre partenaire sur sa capacité à se faire aimer par nous et les autres sans toutefois tomber dans la complaisance. En faire trop dans le but de calmer le doute renforce le comportement de notre partenaire et le place dans une situation de dépendance par rapport à nous.
Pour poursuivre sa réflexion :
Ces gens qui se sentent toujours visés : apprendre à dépersonnaliser les situations, par Elayne Savage. Éditions de l'Homme.
Survivre à la peine d'amour : de l'abandon à la guérison, par Susan Anderson. Éditions de l'Homme.
Parce que quand on se compare, on se console, on visionne l'oeuvre de Woody Allen. Le cinéaste y crée un personnage angoissé, peu sûr de lui qui en fait parfois trop pour plaire.
Henri Michaud, rédacteur Canal Vie